MUSA THE FOOL, musa the wise
simon njami, 2015
On the occasion of the solo exhibition YO MAMA at the Galerie Maïa Muller in Paris, notorious curator Simon Njami wrote about Hassan Musa.
"But we, we start from the beginning.
We are poor, we no longer know how to play. We have forgotten, the hand has unlearned how to tinker. (Ernst Bloch, p.21)
Ernst Bloch would have been happy to meet Hassan Musa. He, who, in the spirit of utopia, lamented the helplessness into which human society was already sinking. Hassan Musa's hand has not stopped tinkering. Hassan Musa's mind has not forgotten how to play. But to play, one must have that ironic distance that allows one to laugh at everything, but with anyone. One must look at the world with the eyes of a fool or a child, because "life is but a walking shadow, a poor player that struts and frets his hour upon the stage and then is heard no more; it is a tale told by an idiot, full of sound and fury, signifying nothing..." *Macbeth*, Act V, Scene V. Of course, Macbeth is not mad. And the stories he tells, unlike those of the merchants of truth who pollute our minds, are serious stories. But instead of presenting them as axioms, he turns them into tales. Because the fool is a humble being who seeks to impose nothing on anyone. Musa has not forgotten the greatness of small hands, the modesty of the artisanal labor that any tinkering requires. And through this tinkering, it is our contemporary world that Musa regularly scrutinizes, using very ancient techniques.
I like, and it makes me smile, to place him under the tutelary protection of three women. Three women who, like the stories he reveals to us, are true because someone created them. Musa would therefore be a Penelope weaving the *One Thousand and One Nights* of all times and all geographies, with Ariadne’s thread. The three myths together give a particular resonance to this work; Scheherazade, Penelope, and Ariadne worked against time. Or at least, each with the tools at her disposal, attempted to alter it. To fabricate a heterochrony on which their lives depended. The same time is at work in Musa’s craft, and the events or characters he sketches—whether Obama or Putin—are transformed by his gaze into figures of a contemporary fiction to which our humanity is subjected. There is another fool to whom this work reminds me, one whose reflection, beyond its aesthetic, is an ontological meditation on our future: Moha. And like Tahar Ben Jelloun’s character, Musa could say: ‘I am naked before men and before the age, facing the sea, facing the fire that threatens you. I, the wise man, the lost man, the man possessed by djinns (but whom they do not dare lock up because I have secret ties with all the magicians of India and the lands buried under the earth), I am ashamed, and I do not know what else to do but to strip in this bank and show you the scabs on my skin. These scabs are the shame I feel towards you, and I am afraid, not for my little life, which has slept a century and awoken in time, but I am afraid of seeing you hanging at the dawn of all massacres, you will hang each other, for you will not know where the wind of madness that will sweep you away like laughter on winter nights comes from…’" (Tahar Ben Jelloun, *Moha the Fool, Moha the Wise*, Seuil, Paris, 1980)."
- A text by Simon Njami - Courtesy of the Galerie Maïa Muller.
musa le fou, musa le sage
simon njami, 2015
À l'occasion de l'exposition individuelle YO MAMA à la galerie Maïa Muller, le prestigieux commissaire d'exposition Simon Njami écrit au sujet d'Hassan Musa.
"Mais nous, nous prenons les choses au commencement.
Nous sommes pauvres, nous ne savons plus jouer. Nous l’avons oublié, la main a désappris à bricoler. (Ernst Bloch, p.21)
Ernst Bloch aurait été heureux de rencontrer Hassan Musa. Lui qui, dans l’esprit de l’utopie, se navrait de constater, déjà, l’impuissance dans laquelle s’enfonçait la société humaine. La main d’Hassan Musa n’a pas cessé de bricoler. L’esprit d’Hassan Musa n’a pas oublié le jeu. Mais pour jouer, il faut avoir cette distance ironique qui permet de rire de tout, mais avec n’importe qui. Il faut regarder le monde avec les yeux d’un fou ou d’un enfant, parce que « la vie n’est qu’un fantôme errant, un pauvre comédien qui se pavane et s’agite durant son heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend plus ; c’est une histoire dite par un idiot, peine de fracas et de furie, et qui ne signifie rien… » Macbeth acte V scène V. Macbeth n’est pas fou bien sûr. Et les histoires qu’il raconte, contrairement à celles des marchands de vérité qui polluent nos esprits, sont des histoires sérieuses. Mais plutôt que de les faire passer pour des axiomes, il en fait des contes. Parce que le fou est un être humble qui n’entend rien imposer à personne. Musa n’a pas oublié la grandeur des petites mains, la modestie du labeur artisanal que suppose tout bricolage. Et à travers ce bricolage là, c’est notre monde contemporain que Musa passe régulièrement au crible, avec des techniques très anciennes.
J’aime, et cela me fait sourire, à le mettre sous la garde tutélaire de trois femmes. Trois femmes qui, comme les histoires qu’il nous révèle, sont vraies, parce que quelqu’un les a créées. Musa serait donc une Pénélope qui tisserait des mille et une nuit de tous les temps et de toutes les géographies, avec du fil d’Ariane. Les trois mythes rassemblés donnent une résonnance particulière à ce travail ; Shéhérazade, Pénélope et Ariane, travaillaient contre le temps. Ou du moins, tentaient-elles, avec chacune les armes en sa possession, de l’altérer. De fabriquer une hétérochronie dont dépendaient leurs vies. Ce même temps est à l’œuvre dans le travail de Musa et les événements où les personnages qu’il croque, fussent-ils Obama ou Poutine, se transforment par son regard, en personnages d’une fiction contemporaine à laquelle est soumise notre humanité. Il est un autre fou auquel me renvoie ce travail qui, au-delà de sa plastique, est une réflexion ontologique sur notre devenir : Moah. Et comme le personnage de Tahar Ben Jelloun, Musa pourrait dire : «Je suis nu devant les hommes et devant l'époque, face à la mer, face au feu qui vous menace, moi le sage, l'homme perdu, l'homme possédé par les djinns ( mais qu'on n'ose pas enfermer parce que j'ai des liens secrets avec tous les magiciens de l'Inde et des pays enfouis sous les terres), moi, j'ai honte et je ne sais quoi faire de plus que de me déshabiller dans cette banque et vous montrer la gale sur ma peau, cette gale c'est la honte que j'ai de vous et j'ai peur, peur pas pour ma petite vie qui a dormi un siècle et s'est réveillé à temps, mais j'ai peur de vous voir pendus à l'aube de tous les massacres, vous vous pendrez les uns les autres car vous ne saurez pas d'où vient le vent de la démence qui vous emportera comme un rire les nuits d'hiver…» (Tahar Ben Jelloun, Moha le fou, Moha le sage, Seuil, Paris, 1980)".
- Un texte par Simon Njami - Courtesy of the Galerie Maïa Muller.