BANANA ALLEGORY

HASSAN MUSA, 2006

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Exchange of emails between Hassan Musa and Kerstin Pinther for the catalog of the “ Black Paris ” exhibition (Bayreuth, Frankfurt and Brussels, 2006-2008). Pinther was one of the curators who designed the exhibition and the catalog of the exhibition “ Black Paris, Black Brussels ”. December 15th, 2006

I see Josephine Baker as an american choreographer (translate : European choreographer), who managed to build a remarkable whole repertoire of primitivist choreography. Choreographies that she presented, on European stages, as “ African ” dance. But Josephine Baker was not only a choreographer, she was also a black American who found refuge in Europe after having experienced the misery and brutality of American racism at the beginning of the 20th century. However, when we examine the nature of the reception that Europeans gave her, we see the same racist rejection, but expressed in different way ; a subtle and biased racism that made her the representative of a both unbridled and diabolical primitivist sexuality, a black sexuality capable of satisfying all the erotic fantasies of the white male, christian and tamer of the wild world. In short, she was the ideal woman for Indiana Jones or for Michel Leiris, a young surrealist poet lost among ethnologists and promoter of ethno-aesthetics.

If Josephine Baker became a chic sex-symbol of Africa in the Paris of the 1920s, it was not because she was the only “African” in this city. Paris has always known the black communities of Africa and the Caribbean. But Josephine was the black woman who was there, at the right time and in the right place, at the crossroads of the great socio-cultural contradictions of French society between the wars: colonialism, ethnology, fascism, surrealism, primitivism, art nègre, charleston and short dresses. She was the American tree that hid the African forest.

Close to men of the calibre of Michel Leiris, Picasso, Van Dongen and Hemingway, she was in all the adventures of the Parisian elite. In this respect, her participation and that of the black American boxer Al Brown, in the financial support of the ethnological mission Dakar-Djibouti seemed natural in the eyes of her contemporaries as a “ black woman ” helping “ her ” people with a black continent that she had however never known.

I do not see Josephine Baker as the initiator of Artafricanism but as a supporting base on which ideologues of ethno-aestheticism have inscribed their projects.

For her part, Josephine Baker, happy with the manipulation of her image as a black woman by the negrophile elite of Paris - The Josephine Baker Story, Ean Wood, 2000 - evolved on the ruts of the path of European primitives. A path on which modern artists have left remarkable landmarks : Paul Gauguin, two decades earlier, had installed his Breton primitivism in a virgin Tahitian forest reworked to the taste of Parisians. As for Picasso, his contemporary, he combined pre-feudal Spanish primitivism and art nègre under the admiring gaze of Parisians (John Berger, The Success and Failure of Picasso, 1965). And in 1916, the dadaists organised at the Cabaret Voltaire, African evenings with the primitive masks of Marcel Janco (Ean Wood). I think that the cage in which Josephine sang and danced, disguised as a bird or a female savage, was not simply a music hall stage set. This cage represented, in the minds of the European public, a key metaphor for the culture of domination engendered by capitalist society in Europe. As a space of oppression and order where one can classify and contain the energies and beings of the “ messy ” world, the cage appeared as the appropriate place for africans. This symbolic tinkering of European racism was based on a whole tradition of “ indigenous village ” exhibitions, which, since the end of the 19th century, had represented the most constant element of universal exhibitions (John MacKenzie, chapter Les expositions impériales en Grande-Bretagne, in Zoos humains et exhibitions coloniales, La Découverte, 2002).

ALLÉGORIE À LA BANANE

HASSAN MUSA, 2006

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Échange de mails entre Hassan Musa et Kerstin Pinther pour le catalogue de l’exposition « Black Paris » (Bayreuth, Frankfurt et Brussels, 2006-2008). Pinther était une des curators qui ont conçu l’ exposition et le catalogue de l’exposition « Black Paris, Black Brussels ». 15 décembre 2006

Je vois Joséphine Baker comme une chorégraphe américaine (traduisez : chorégraphe européenne), qui a réussi à construire tout un répertoire remarquable de chorégraphies primitivistes. Chorégraphies qu’elle présentait, sur les scènes européennes, comme danse « africaine ». Mais Joséphine Baker n’était pas seulement une chorégraphe, c’était également une américaine noire qui a trouvé refuge en Europe après avoir expérimenté la misère et la brutalité du racisme américain du début du XXème siècle. Cependant quand on examine la nature de l’accueil que les européens lui ont réservé, on constate le même rejet raciste, mais exprimé de manière autre, un racisme subtil et biaisé qui a fait d’elle la représentante d’une sexualité primitiviste débridée et diabolique à la fois, une sexualité noire capable d’assouvir tous les fantasmes érotiques du mâle blanc, chrétien et dompteur du monde sauvage. Bref, c’était la femme idéale pour Indiana Jones ou pour Michel Leiris, jeune poète surréaliste égaré parmi les ethnologues et promoteur de l’ethno-esthétisme.

Si Joséphine Baker est devenue un sexe-symbole chic de l’Afrique dans le Paris des années 20, ce n’est pas parce que elle était la seule « africaine » dans cette ville. Paris a, depuis toujours, connu les communautés noires d ’Afrique ou des îles Caraïbes. Mais Joséphine était la femme noire qui se trouvait là, au bon moment et au bon endroit, au carrefour des grandes contradictions socio-culturelles de la société française d’entre deux guerres : colonialisme, ethnologie, fascisme, surréalisme, primitivisme, art nègre, charleston et robes courtes. Elle était l’arbre américain qui cache la forêt africaine.

Proche des hommes de l’envergure de Michel Leiris, Picasso, Van Dongen, Hemingway, elle était dans toutes les aventures de l’élite parisienne. A cet égard, sa participation et celle du boxeur noir américain Al Brown, à l’ effort financier de la mission ethnologique Dakar-Djibouti sembla naturelle aux yeux de ses contemporains en tant que « noire » qui aide « son » peuple d’un continent noir qu’elle n’a pourtant jamais connu.

Je ne vois pas Joséphine Baker comme initiatrice de l’Artafricanisme mais comme un support matériel sur lequel des idéologues de l’ethno-esthétisme ont inscrit leurs projets.

De son côté, Joséphine Baker, heureuse de la manipulation de son image de femme noire par l’élite négrophile de Paris - The Josephine Baker Story, Ean Wood, 2000 - a évolué sur les ornières du chemin des primitifs européens. Chemin sur lequel des artistes modernes ont laissé de remarquables repères : Paul Gauguin, deux décennies plus tôt, avait installé son primitivisme breton dans une forêt vierge tahitienne réaménagée au goût des parisiens, quant à Picasso, son contemporain, il a combiné le primitivisme espagnol préféodal et l’art nègre sous le regard admiratif des parisiens (John Berger, The Success and Failure of Picasso, 1965). Et en 1916, les dadaïstes organisaient au Cabaret Voltaire des soirées africaines avec des masques primitifs de Marcel Janco (Ean Wood). Je pense que la cage dans laquelle dansait et chantait Joséphine, déguisée en oiseau ou en femelle sauvage, n’ était pas simplement un décor de scène de music hall. Cette cage représentait, dans l’esprit du public européen, une métaphore clé de la culture de domination qu’a engendrée la société capitaliste en Europe. En tant qu’espace d’oppression et d’ordre où l’on peut classer et contenir les énergies et les êtres du monde « désordonné », la cage apparaissait comme la place appropriée pour les africains. Ce bricolage symbolique du racisme européen s’appuyait sur toute une tradition d’exposition de « village indigène », qui, depuis la fin du XIXème siècle, représentait l’élément le plus constant des expositions universelles (John MacKenzie, chapitre Les expositions impériales en Grande-Bretagne, dans Zoos humains et exhibitions coloniales, La Découverte, 2002).